mercredi 4 avril 2012

L'affaire Vrain-Lucas : une arnaque autographe retentissante

Michel Chasles (1793-1880)
Tout débute en 1861 lorsque le mathématicien Michel Chasles rencontre un homme de 45 ans venu respectueusement lui demander quelques conseils sur un lot de vieux documents qu'il venait d'acquérir et dont il semblait ignorer les auteurs. Michel Chasles, polytechnicien, membre de l'Institut de France, officier de la légion d'honneur, sommité dans son domaine (la géométrie), donc personne instruite, s'empresse d'aider cet inconnu qui dit s'appeler Denis Vrain-Lucas.

Ce dernier commence à soumettre à l'expertise de Chasles quelques documents.Quelle surprise pour le mathématicien de tomber sur une lettre du philosophe Pascal datée de 1649 et traitant des lois de l'attraction, vingt ans avant Newton ! Stupéfait, pour ne pas dire surexcité par cette découverte, Chasles demande illico presto à Vrain-Lucas de lui faire parvenir les autres documents dont il dispose. 
Vrain-Lucas, qui se dit prêt à lui céder toute la collection, temporise en prétextant que sa collection est si importante qu'il lui faudrait au minimum trois voitures pour la déménager. Il propose alors d'apporter de temps en temps deux ou trois documents choisi au hasard (se déclarant bien trop ignorant pour connaître la valeur de sa collection).

C'est alors que durant plusieurs semaines, notre Vrain-Lucas se présente chez Chasles avec ses trouvailles extirpées de ses prétendus cartons. Chasles voit alors défiler sous ses yeux des lettres et autres documents de Galilée, d'Alexandre le Grand (à Aristote), d'Archimède (à Néron), de Pythagore, de Marie-Madeleine (à Jésus),  de Vercingétorix, de CléopatreJules César)... (!) 
Chasles, dans un état de transe (facilement imaginable) proche de la folie, rachète un à un les documents amenés par Vrain-Lucas. Chaque semaine, Chasles croit devenir fou. Vrain-Lucas lui apporte des lettres des plus grands savants et mathématiciens de l'histoire. Chaque lettre contredit, démontre, bouleverse les croyances établies, notamment sur les mathématiques.

Un beau jour, Chasles, fébrile, décide de partager ses découvertes sensationnelles à ses collègues de l'Institut. Il vient alors montrer aux yeux des académiciens les documents lors d'une séance le 8 juillet 1865.

Dans son livre, La Petite Histoire, l'historien Théodore Gosselin (G. Lenotre) raconte :

"L'histoire de la Science était à refaire (...) Chasles, triomphant, déposa sur le bureau les lettres de Pascal (...) Tout le monde savant était en émoi et la gloire de Chasles suscitait bien des jaloux. Ne se trouva-t-il pas un envieux confrère pour insinuer que ces textes supposaient l'emploi de formules et de mesures que n'avait pu connaître Pascal ? Mais Chasles avait de quoi riposter : Vrain-Lucas, au fur et à mesure des discussions, lui procurait de nouvelles lettres dans lesquelles Pascal lui-même — tant avait été merveilleux le prévoyant génie de ce grand homme — rétorquait, plus de deux siècles à l’avance, les arguments des contradicteurs. Les preuves surabondaient ; à chacune des séances Chasles arrivait muni de nouvelles armes, et les sceptiques durent s’incliner, ou du moins se taire, quoique Leverrier eût prononcé le mot de « faux » et que les savants étrangers, entrés en lice, se déclarassent ahuris des stupéfiantes révélations qui leur venaient de France".
(G. Lenotre, La Petite Histoire, l'Affaire Chasles ou l'Arnaque Vrain-Lucas).

La supercherie fut rapidement démasquée  et des preuves matérielles furent rendues public quant à la fausseté des documents. Alors, tout le monde s'est posé la même question (parce que, avouons le, on continue encore de rire de la crédulité de Chasles), comment un homme si brillant a pu se laisser berner ? Même si Vrain-Lucas prenait un grand soin à contrefaire les lettres (choix du papier, de l'encre, écriture et langue adaptée), comment pouvait-on croire que des lettres de Pythagore ou de Cléopâtre subsistaient encore ? (si elles aient un jour existé).

L'affaire fit grand bruit. Jugé en février 1870 devant le tribunal correctionnel de Paris, Vrain-Lucas fut condamné à deux ans de prison. Après l'enquête, on estima que le faussaire avait écoulé pas moins de 27.000 faux documents à diverses personnes dont Chasles, pour un montant total de 140.000 francs.
Certaines de ces lettres sont aujourd'hui exposées à Paris au musée de la Police (Maubert-Mutualité). Beaucoup ont disparues lors des incendies de 1871. En reste t-il encore en circulation ?





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